→ 1995 - ANCHORAGE, ALASKA.

« Jaxhuem, tu te souviens de Sullivan, l’homme dont je t’ai parlé ? » Vague haussement des épaules de la part du gamin, qui permit pourtant à la jeune mère de reprendre ses paroles. « Eh bien, il va venir vivre avec nous, dans la maison. » « Tu es amoureuse ? » L’espace d’un instant, la jeune femme parut surprise par cette question impromptue, sourcils arqués, regard perdu. Elle finit pourtant par hocher la tête, avant de confirmer le tout avec des paroles. « Oui, c’est ça. » « J’t’ai entendue le dire au téléphone. » Elle esquissait un sourire à présent. Il était vrai que parfois elle n’était pas la plus attentive des femmes quand il s’agissait de cacher sa vie privée à son unique enfant. Mais visiblement il était encore assez jeune pour ne pas se rebeller contre toute cette histoire. Au contraire, il l’acceptait mieux que prévu. Probablement parce qu’il n’avait jamais connu son père et que chez lui, il n’y avait qu’une lueur d’espoir de le voir un jour débarquer pour rependre le cœur de cette femme qu’il avait abandonnée des années plus tôt. La seule chose que Jaxhuem savait de son père, de son vrai père, c’était qu’il l’aimait fort, qu’il avait aussi aimé sa maman à une époque, mais que les choses avaient été telles qu’il n’avait pas pu les supporter et qu’il avait eu besoin de s’éloigner. C’était des choses qui n’étaient pas encore totalement claires dans l’esprit du petit garçon qu’il était. Et il s’en fichait bien après tout de ne pas connaître les états d’âme de son paternel. Tout ce qu’il savait, c’était qu’il avait du grandir sans père et que sa mère avait toujours eu à endosser tous les rôles avec lui. Et qu’elle méritait peut-être qu’il endosse celui de l’enfant sage pour une fois. Il était vrai qu’habituellement, il n’aimait pas les histoires des adultes, il n’aimait pas écouter sa mère quand il était occupé sur son jeu vidéo, mais cette fois-ci, il avait fait un effort. Parce qu’il l’avait vu dans son regard, elle était amoureuse comme il l’avait entendue dire, et ça semblait tout signifier à présent, ça semblait occulter tous les malheurs qu’elle avait pu traverser seule.

→ 2006 - ANCHORAGE, ALASKA.

« Un mariage à l’église ? » « Je suis pas le genre croyant comme gars tu sais. » « Je sais, mais il faut bien un peu de tradition et puis comme ça, peut-être que t’auras trop peur de la vengeance de Dieu pour contredire tes vœux. » Il ricana légèrement, levant les yeux vers le plafond alors qu’elle était appuyée contre lui. Tous les deux étaient posés dans le canapé de leur petit appartement. Un vraiment petit appartement, dans lequel ils avaient emménagé ensemble il y a quelques mois de ça, sans pour autant que tous les cartons soient vidés déjà. Ils avaient mieux à faire du moins, à l’avis de Bailey qui préférait de loin préparer son mariage. Le temps était passé depuis l’époque où il avait été un adolescent casse cou qui n’avait aucune envie de se poser avec une fille. Il l’avait rencontrée elle, elle lui avait d’office tapé dans l’œil et plus encore, chaque fois qu’ils étaient là, tous les deux, il brûlait littéralement d’amour pour elle. Des ces passions que l’on ose croire inépuisables, même si au final, il n’était pas le plus démonstratif des hommes. « Quoi, si on se marie qu’à la mairie ça leur suffit pas à ta famille ? A ma famille ça leur conviendra très bien ! D’ailleurs, le simple fait que j’ai envisagé de me marier leur convient. Ils ont sans doute cru que j’étais un cas désespéré à une époque. » Lui aussi il avait pu le croire, mais à l’époque de sa jeunesse, ça lui convenait très bien : rien de compliqué, pas de casse tête, car ouais, à une époque c’était comme ça qu’il voyait l’amour. Autour de lui, des couples qui s’assemblaient et se séparaient pour un oui ou pour un non, tandis que lui, préférait ne pas se prendre la tête. Et puis avec Bailey ça avait été comme une évidence, les choses seraient simples, pas besoin de chercher plus loin. Elle était pétillante, naturelle, pas franchement très simple et plutôt exigeante certes, mais avec le temps elle avait presque appris à vivre avec un homme comme Jaxhuem. Et heureusement pour eux d’ailleurs, sinon ce mariage qu’ils préparaient avec tant de soin serait probablement voué à l’échec cuisant.

→ 2009 - ANCHORAGE, ALASKA.

Misérable existence, misérable quotidien et surtout salopard de destin. Il fallait que tout se complique, là où il avait parfois eu la folie de croire que tout était simple. Ou peut-être que c’était l’inverse, Dieu, ou quelque entité que ce soit le forçait enfin à faire un choix, à se décider et à arrêter de jouer les gamins. Tout ce qu’il trouvait à faire pourtant, c’était rester là, assis dans ce bar à aligner les verres. Et voilà qu’il en avalait un autre d’ailleurs. Au fond, il ne voyait pas ce qu’il y avait de mieux à faire. Aller supplier l’une, aller retrouver l’autre ? Ca semblait être un dilemme qui n’aurait jamais de fin pour lui et quelque choix qu’il fasse, il avait forcément l’impression de passer à côté de quelque chose. Avec Bailey, tout avait toujours été une évidence, elle avait été la première qu’il avait aimée dans sa vie. Et avec Arizona c’était… fusionnel, ils étaient pareils, ils se comprenaient sans même avoir à se parler et à chaque fois qu’il pensait faire une erreur avec elle, il n’avait eu qu’à la regarder pour oublier ses doutes. Le énième verre de whisky qu’il avait commandé vint se poser devant lui, dans un bruit caractéristique qui éveilla comme un réflexe chez lui. Le regard dans le vide, il l’attrapa, pour le porter à ses lèvres et en avaler le contenu d’un cul sec. Et voilà, encore plusieurs grammes d’alcool dans le sang. Une chance pour lui, il avait plus prévu de tomber dans un coma éthylique qui l’amènerait à la mort plutôt que de prendre sa voiture. Il avait besoin de se vider la tête, ou au contraire, de réfléchir dans tous les sens, de trouver la bonne solution. Mais il n’y arrivait pas. Il n’y avait rien à faire, aucune solution ne semblait être la bonne. Trahir l’une et vivre avec cette culpabilité toute sa vie, il ne savait même pas si du coup il serait capable de vivre avec ça. Remarquez, il avait bien vécu avec Arizona comme maîtresse pendant deux ans. Mais c’était un schéma de vie tellement confortable qu’il s’était imposé là, que le temps lui avait d’ailleurs imposé, qu’il était désormais incapable de faire un choix. Si seulement elle avait pu découvrir cette histoire avec Arizona au bout d’un mois, les choses auraient été plus simples ! Quoique. Avec elle aussi ça avait semblé être une évidence, un déclic en lui, un saut dans le vide qu’il avait été de plus en plus impatient de faire à chaque fois qu’il l’avait regardée, ce jour là au mariage. Finalement c’était lui le pitre de l’histoire, l’imbécile. Peut-être que l’une comme l’autre, il ne les méritait pas.

→ 2011 - ANCHORAGE, ALASKA.

« Hm ? » « J’hallucine ou encore une fois t’écoutais pas ce que je disais ? Jax c’est important, on parle d’acheter une maison tous les deux ! De lâcher cette colocation pourrie pour s’acheter une maison ! » « Je sais, désolé. J’avais juste l’esprit ailleurs, j’t’écoute. » Dit-il tout en fermant à moitié les yeux, le menton appuyé contre la paume de sa main. Il sentit rapidement le regard désobligeant de Bailey se poser sur lui, si bien qu’il rouvrit les yeux, quelque peu agacé. « Quoi ? C’est interdit d’être crevé un vendredi soir maintenant ?! » « Tu sais bien que l’agent à dit de vite se décider, que la maison partirait vite. » « Eh bah achetons la, débat clos, j’peux aller dormir maintenant puisque tu supportes pas de me voir fatigué ? » Il n’était qu’ç moitié énervé, après tout, il n’était pas le genre de type à se prendre la tête pour beaucoup de choses. C’était surtout Bailey qui, plus ou moins consciemment, cherchait la petite bête depuis cette histoire avec Arizona. Comme si elle pensait dorénavant qu’il la trompait avec toute la ville. Cruelle erreur, il n’y avait qu’avec Arizona qu’il pourrait le faire, et il était heureusement le seul à le savoir, à porter encore ces douloureux souvenirs et autres culpabilités sur sa conscience. Elle finit par esquisser un sourire, se mordillant délicatement la lèvre inférieure alors qu’elle venait poser une main sur son épaule. « Pauvre petit. Tu sais quoi, j’ai pigé. J’te laisse avec ça et j’vais me rattraper. Que dirais-tu d’un… massage pour te remettre de cette longue semaine ? » Voilà qu’elle en venait à le tenter. Oh, le feu ardent de cette attirance était franchement bien plus intéressant que ces histoires de maison, indéniablement. Il esquissa un léger sourire, ouvrant un œil en direction de sa femme. « Va pour le massage. » Après tout, il n’était pas le genre d’homme à refuser ce genre de petits plaisirs.